mercredi 17 novembre 2010

Pourquoi l'homme fait il son devoir?



I. /  Par intérêt

L’homme semble faire son devoir parce que la société le lui impose, c'est-à-dire pour pouvoir vivre en société. Faire son devoir c’est agir conformément à ce qui devrait être, conformément au bien. Et, puisqu’il n’est pas facile de savoir ce qui est bien, la société se charge d’établir les devoir civiques et juridiques que tous les citoyens se doivent de respecter pour coexister. Tel est le premier aspect du devoir : avant de s’imposer  comme obligation morale de la conscience, le devoir s’impose du dehors
Ex : cela fait partie de l’éducation de l’enfant, dès son plus jeune âge il obéit aux règles, par peur d’être puni.

L’homme fait aussi son devoir parce que c’est plus avantageux qu’une vie asociale sans règles de vie. Comme le dit Hobbes dans Le Léviathan , si « l’homme est un loup pour l’homme » à l’état de nature, cad si l’homme est naturellement agressif et ne peut se contraindre lui-même tant que des règles sociales ne lui sont  pas imposées , c’est alors la loi du plus fort qui règne : chacun se trouve dans un état d’insécurité permanent, puisque tout autre peut venir lui dérober son bien à chaque instant, pourvu qu’il soit plus fort. C’est donc d’abord par besoin de sécurité, et donc par intérêt personnel que l’on accepte de se plier à certaines règles, pour en échange jouir de la réciproque.

Ainsi que le fait remarquer Bergson dans Les deux sources de la morale et du droit, la morale est d’abord sociale, et le devoir relève d’une obligation qui s’impose à tout membre d’une communauté. En effet le devoir provient d’une pression sociale à laquelle nous ne pouvons que difficilement échapper. Si des devoirs sont établis par la société c’est parce que celle-ci cherche à maintenir son ordre, à réguler des coexistences afin que règne une certaine harmonie

Freud montre comment le processus psychologique de l’intériorisation relaie la pression sociale : dès son plus jeune âge l’enfant rencontre des interdictions qu’il est amené à intérioriser  pour ne pas perdre l’amour de ses parents et éducateurs. Une des trois instances du psychisme, le Surmoi se constitue par cette intériorisation des interdits et ceci canalise la sauvagerie des pulsions, c'est-à-dire socialise.

La morale est d’abord sociale, et cette morale, Bergson la nomme « la morale close ». Par exemple Bergson explique qu’au travers du maître d’école c’est toute la société qui dit « tu dois » et qui exerce sur l’élève une pression telle qu’il ne peut que se soumettre au devoir.

L’homme fait son devoir par intérêt et par habitude, obéissant aux règles de conduite dictées par la société, ou la communauté, à laquelle il appartient. Cependant nous ne pouvons plus ici distinguer le devoir de la contrainte, et il semble que l’homme qui n’obéit que par peur de l’insécurité, de la punition ou de l’exclusion sociale ne soit pas véritablement un être moral. Faire son devoir n’est ce pas agir en vue du bien, raisonnablement et donc sans y être contraint ? Car de celui qui agit sous la menace on ne dit pas qu’il fait son devoir mais qu’il agit contraint et forcé.



II/ Pour le bonheur


L’homme qui ne fait son devoir que par contrainte ne fait finalement qu’obéir à la force, à la pression qu’il subit, si bien qu’on ne peut pas dire qu’il s’oblige lui-même. Or, faire son devoir, c’est avant tout accomplir ce que l’on pourrait  refuser d’accomplir.Le devoir se distingue de la contrainte en ce qu’il dépend d’une libre volonté du sujet, une décision délibérée de sa part. Ainsi Rousseau écrit dans le Contrat Social que "la force ne fait pas droit"  et que la contrainte diffère de l’obligation. Si le devoir est conçu par lui-même il doit être distinct de la contrainte. Certes le devoir doit d’abord prendre la forme de la contrainte pour que l’enfant puisse s’éveiller à la conscience du devoir être, mais il ne prend son véritable sens que lorsqu’il fait l’objet d’une intention délibérée. Rappelons que l’éducation ne se confond pas avec le dressage : il s’agit de faire un homme c'est-à-dire un être capable de liberté. Faire son devoir c’est donc décider librement de faire le bien. Au terme de cette analyse notre sujet devient donc : pourquoi l’homme décide-t-il de faire le bien ?

Si l’homme décide de faire le bien, c’est donc qu’il atteint une certaine maturité et prend conscience de la valeur du bien. Le devoir a pour but l’établissement du bien. Or tout homme recherche le bonheur et le bonheur réside justement dans la possession du bien. Faut-il alors comprendre que l’on s’affranchit de la morale sociale pour élaborer sa propre morale en fonction de ce que l’on se représente être un bien pour soi ? Mais celui qui vole croit bien faire pour lui, mais demeure dans l’illusion quant au bonheur qui peut découler de cet acte.
Il faut distinguer satisfaction éphémère et bonheur : la satisfaction ne demeure pas ; les désirs s’enchaînent. Le bonheur réside dans  la recherche d’une plénitude durable.

OR le bonheur est la fin que tout homme vise pour elle-même, ce à quoi toute activité est subordonnée, ainsi que le montre Aristote dans l’Ethique à Nicomaque : «  la fin ultime c’est le bonheur ». Le problème c’est que les hommes ne sont pas d’accord sur le contenu du bonheur. Or nous pouvons remarquer que si le bonheur est ce que tout homme recherche, alors il  constitue l’accomplissement de la nature humaine. Et, ce qui fait de l’homme un être humain c’est de mener une vie conforme à la raison. La raison définit dans son aspect pratique les  devoirs que tout homme vertueux se doit d’accomplir. Ainsi faire son devoir est une condition nécessaire pour être heureux.
Nous voyons donc que l’homme qui fait son devoir va au-delà des pressions sociales, il agit de lui-même en vue de l’accomplissement de son humanité, ce qui devrait lui permettre d’atteindre le bonheur.
C’est notre humanité qu’il s’agit d’accomplir ici, et non notre individualité. Il y a alors bien devoir, puisqu’on s’oblige : le devoir peut entrer en conflit avec nos envies et intérêts personnels.


L’homme qui fait son devoir ne doit donc pas le faire par pu intérêt égoïste ou par contrainte : il ne ferait alors que céder lâchement aux contraintes qui s’imposent à lui. Il fait donc son devoir par souci d’accomplissement de son humanité, recherchant l’harmonie avec lui-même et le bonheur. Cependant, faire du bonheur un mobile de l’action vertueuse, n’est-ce pas d’une part, réduire la notion  de bonheur, et d’autre part, contredire la notion de devoir ?

III/ Par devoir

Le bonheur résulterait de la vertu, du fait d’agir conformément au devoir, selon Aristote. Mais n’y a-t-il pas ici une confusion entre une sorte de contentement intellectuel que procure la satisfaction d’avoir résisté à ses penchants les plus vils et le bonheur tel qu’on l’imagine ordinairement ? Car le bonheur ne réside pas  seulement dans un état de contentement : on le conçoit généralement comme un état de satisfaction totale que l’action vertueuse seule ne permet pas d’atteindre. Etre satisfait, c’est combler tout manque et les manques sont divers d’un individu à l’autre. Si nous pouvons définir un état d’harmonie de l’homme avec lui-même comme accomplissement de la nature humaine, il n’en reste pas moins que tout homme est aussi un individu soumis à des désirs et que son bonheur réside dans la satisfaction des désirs. Le devoir n’est donc pas  nécessairement accompli en vue du bonheur et ce d’autant plus qu’il arrive parfois que l’action vertueuse rendre malheureux, qu’elle entre en conflit avec la satisfaction d’un désir. Car il n’est pas facile de faire son devoir, cela demande de s’obliger  soi même, ce qui montre bien que cela ne se fait pas spontanément.

Si l’homme ne fait pas son devoir par souci d’accession au bonheur, qu’est ce qui le pousse à agir par devoir ? Pour répondre cette question il semble judicieux d’analyser ce qu’est le devoir lui-même. Le devoir est l’obligation morale que nous imposons à nous-mêmes. Agir par devoir ce n’est pas agir par intérêt. Celui qui portant assistance à autrui  croit agir par devoir peut très bien en retirer une satisfaction personnelle, un intérêt, le regard bienveillant des témoins de  la scène, si bien qu’il a agit plus par intérêt que par devoir, on ne dira pas de l’homme recherchant la gloire par ces actions conforme au devoir qu’il est véritablement vertueux. Car la vertu réside dans le fait que l’action est faite par devoir, l’action est accomplie par simple bonne volonté, pour elle-même et non pour la satisfaction qu’on en retire. Kant, dans Les fondements de la métaphysique des mœurs, écrit : « Une action faite par devoir tire sa valeur morale, non du but qu’elle doit atteindre, mais de la maxime d’après laquelle elle s’est décidée : elle dépend simplement du principe de la volonté » Ce qui fait la valeur morale d’une action, donc sa conformité au devoir c’est d’abord la bonne volonté qui est à son origine, et non les résultats qu’elle produit. Ainsi agir par devoir c’est agir sans considération du résultat ou de l’intérêt qu’on peut en retirer, mais seulement par pur respect pour le devoir lui-même. Or celui-ci s’exprime par le biais de l’impératif catégorique dont la première formulation est d’après Kant : «  Agis toujours d’après une maxime telle que tu puisse également vouloir qu’elle devienne une loi universelle. » L’impératif catégorique garantit la moralité en ce qu’il s’impose à tous de manière universelle. Prendre en compte les conditions de réalisation de l’action ferait entrer en jeu les intérêts possibles.

Si l’homme fait son devoir ce doit être simplement pour faire son devoir, et  non pour un autre motif, sans quoi le devoir ne serait plus un devoir, mais un impératif  hypothétique, qui en effet, prescrit les moyens à mettre en place  pour arriver pour arriver à une fin déterminée. Nous voyons qu’ici il y a donc un but, un « si », une condition qui contredit l’idée même du devoir. Le devoir renvoie  en effet à la morale, c'est-à-dire à la distinction entre le bien et le mal. L’expérience morale implique un rapport  à la valeur : nous avons vocation à la morale parce que notre existence et nos conduites ne relèvent pas d’un simple fait mais d’un souci d’être. Seul l’impératif catégorique, et non le simple impératif hypothétique assure que le devoir est bien accompli pour lui-même et garde son caractère de devoir moral. Il nous dit : « tu dois parce que tu dois ». Telle est la condition pour que le devoir soit vraiment devoir : qu’il s’impose de manière inconditionnée.


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