La science nous livre-t-elle le réel tel qu'il est ?
Intro : -La connaissance positive, reposant sur des critères précis de vérification et visant à établir des lois entre les phénomènes, des rapports objectifs et universels entre ces derniers, nous apporte-t-elle les mêmes choses dans leur existence objective et se manifestant en elle-même ? Tel est le sens de la question posée dans l'intitulé de sujet.
- La science, objective ou entachée de de relativité ? Comment trouver un critère de distinction objectif ? Et si la science se contentait de relatif, de simples relations provisoires et transitoires entre les phénomènes ? Le problème est, en définitive, de savoir si ce n'est pas le pouvoir de la raison qui s'introduit dans les faits et les modèle. Or le pouvoir de la raison est mobile.
- D'où l'enjeu de la question : faut-il croire, avec l'empirisme, que la science nous livre les faits ? Dans ce cas, ce serait un type de méthode qui se trouverait privilégié ? D'ailleurs, on pourrait également supposer que la raison est à même de nous livrer le réel tel qu'il est. La question enveloppe donc le problème de la puissance de la raison et de sa capacité à sortir des limites simplement humaines. Que l'on privilégie les faits ou le pouvoir de la raison, on aboutit avec la question posée, à une certaine attitude pratique. D'où l'enjeu de la question.
Discussion
A- La science livre les faits et le réel tels qu'ils sont.
Il y a, sous-jacent à cette idée de "livrer", le thème d'une science chasseresse, conquérante, dynamique, en quête perpétuelle des choses et du vrai. La science est à l'affût, elle guette comme une proie le réel. Or, ne nous livre-t-elle pas des faits et le réel tels qu'ils sont ? Ce que le savant trouve, en sa recherche, sans doute sont-ce les données de l'expérience, telles quelles sont. C'est à des faits objectifs que la science est confrontée. Entre ces faits, elle établit des relations, des lois et semble ainsi appréhender le réel tel qu'il est. Ainsi, la science nous apporte les choses telles qu'elles sont, dans leur vérité concrète. La science est objective, conforme à la réalité et sa vérité est universelle : elle peut être admise par tout homme.
La science permet de trouver une voie dans le labyrinthe des faits et de forger une image objective de la réalité. Donc elle paraît nous livrer une image reflétant le monde dans sa réalité, tel qu'il est.
Transition : La science a-t-elle affaire réellement à des "faits" ? Rien n'est moins certain. N'introduit-elle pas dans le réel les structures de l'esprit humain ?
En outre, la question posée est grosse d'équivoques. Elle sous-entend que la vérité ( scientifique) serait définie par la conformité avec les choses. La science se comprendrait comme adéquation au réel, accès à la chose elle-même, indépendamment de la construction humaine. Cette conception du vrai pose un problème et doit être soupçonnée et mise en question.
B- La science désigne une construction de la raison, non point un accès au réel tel qu'il est.
En réalité, n'est-ce pas le pouvoir de la raison et de l'esprit qui s'introduit dans les faits et les structure ? Le physicien invente des hypothèses fécondes et soumet le "réel" aux lois de l'esprit. La science est une construction rationnelle, non point une soumission aux faits. Dès lors, si le fait est le produit d'une élaboration rationnelle, si le fait porte de toutes parts la marque théorique, comment la science nous livrerait-elle le réel tel qu'il est ? Elle se contente du relatif : elle établit par observation des relations entre les phénomènes et ne vise pas l'absolu, comme l'a si bien montré Auguste Comte. Ce n'est pas le réel tel qu'il est qu'elle appréhende, mais bien des données relatives : il n'y a pas d'explication absolue et la science ne vise pas le pourquoi.
D'ailleurs, comment la science pourrait-elle nous livrer le réel tel qu'il est ? Loin d'énoncer des vérités absolues et définitives, elle forme des conjectures provisoires. Il y a de l'incertitude dans la science de notre temps : elle est incertaine, relative, conjecturale. " La connaissance, et la connaissance scientifique tout particulièrement progresse grâce à des anticipations non justifiées ( et impossibles à justifier ), elle devine, elle essaie des solutions, elle forme des conjectures. Celles-ci sont soumises au contrôle de la critique, c'est-à-dire à des tentatives de réfutation qui comportent des tests d'une capacité critique élevée. Elles peuvent survivre à ces tests mais ne sauraient être justifiées de manière positive : il n'est pas possible d'établir avec certitude qu'elles sont vraies, ni même qu'elles sont probables" ( Karl Popper, Conjectures et réfutations )
Transition : Comment aller jusqu'au bout de nos analyses ? Que nous livre exactement la science ? Quel est le fruit ( ndlr : c'est bon les fruits ! ) de son travail ? Que désigne exactement la science ?
C- La science, construction des phénomènes.
La science nous livre-t-elle le réel tel qu'il est ? Il nous faut davantage élaborer le concept de science. Qu'est cette dernière, sinon une construction rationnelle s'appliquant à das phénomènes ? La science, en effet, élabore, au moyen de catégories a priori de l'esprit, des intuitions empiriques. Ce qui signifie que le donné extérieur empirique, non seulement est mis en forme par notre sensibilité ( espace/temps) mais par les concepts a priori de notre entendement, comme par exemple la causalité. C'est tout un appareil qui permet de connaître le réel tel qu'il est : nous ne pouvons connaître par la science les choses que telles qu'elle nous apparaissent : comme phénomènes. La causalité n'est pas dans les choses, mais dans l'esprit humain. Donc l'homme confère sa nécessité à la connaissance scientifique et il en résulte que la science, loin de livrer le réel tel qu'il est, le livre tel que l'homme le construit. La science n'a pas la moindre prétention en ce qui concerne les réalités en soi, elle ne doit pas sortir de son domaine : la connaissance spéculative, par la science, concernant le "transcendant", est impossible.
La raison scientifique donne donc à voir le "comment" des choses. Comment accèderait-elle au "noumène" ( Kant fait une distinction entre le phénomène = ce que nous percevons, ne correspond pas à la réalité profonde de l'objet / et le noumène : réalité profonde ), à la chose en elle-même ?
Conclusion : En s'introduisant dans les données, le pouvoir de la raison structure ces dernières et ordonne l'expérience. Ainsi la science, n'ayant accès qu'aux phénomènes, ne nous livre pas le réel tel qu'il est. Pas de science sans mise en forme des données par l'esprit humain, sans mathématique, sans théorie. Livrer le réel tel qu'il est semble un thème quelque peu naïf ou chimérique.
Il n'y a pas d'urgence nous y arriverons un jour.
Alan Alexander Milne
Extrait de Winnie l'ourson
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